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les individus qui, n’ayant pas de métier habituel, vont de l’un à l’autre sans tenir à aucun. Plus vagabonds qu’artisans, plus paresseux que travailleurs, à bien dire ceux qui mendient, nés mendians, fils de mendians, n’ont jamais eu d’état ; quelques-uns en conviendront et sembleront s’en plaindre. Ah ! si j’avais un état, s’écrieront-ils ! — Et pourquoi n’en avez-vous pas ? — On ne m’en a jamais appris. Telle est leur réponse. Est-elle vraie ? C’est possible ; mais il est également probable qu’ils n’ont pas voulu l’apprendre, et qu’ils ne le veulent pas encore ; car s’il est des professions qu’on n’apprend qu’à la longue et par des études commencées dans la jeunesse, il en est d’autres qu’on acquiert à tout âge. Il est donc à peu près certain qu’un homme qui veut savoir un métier et qui veut le faire, le saura et le fera.

Mais, par une circonstance imprévue, ce métier est-il arrêté ou devient-il improductif, n’est-il pas pour l’artisan quelque refuge, quelque ressource, quelque voie d’exister, autre que celle de mendier ? Les travaux du gouvernement, le creusement des canaux et des ports, l’entretien des routes, les terrassemens, les transports de terre, etc., n’offrent-ils pas du pain, et quelle est l’administration prudente qui refuse ce pain à celui qui demande le gagner honnêtement, qui le demande avec instance ? Si elle prononce ce refus c’est une faute, c’est un déni de justice.

Si l’État ne fait pas travailler dans cette localité, si cet individu sans ouvrage n’a pas la possibilité d’en aller chercher ailleurs, qu’il s’offre à un propriétaire, à un manufacturier, au premier venu, à celui à qui il aurait demandé l’aumône, qu’il réclame de sa raison l’emploi de ses bras inoccupés et le salaire de leurs efforts, n’a-t-il pas la chance de l’obtenir ? Si ce propriétaire, ce fabricant, ce passant est humain, il sentira qu’accueillir cette réclamation est un devoir. S’il n’est que calculateur, il calculera que c’est un profit, et, puisqu’il faut que cet homme vive, qu’il vaut mieux le faire vivre en travaillant que de le nourrir sans travailler.