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Le gain légitime ou le salaire ;

L’interdiction de l’aumône aux portes ou dans la rue ;

Les dons utiles et conditionnels.

Or, avons-nous jusqu’à présent tenté sérieusement d’appliquer un seul de ces remèdes ? Nos lois, nos institutions sont-elles propres à opposer une digue au débordement, quand ces lois, ces institutions, véritable chaos, se combattent et s’entredétruisent ; quand la couverture annihile la règle, quand les commentaires tuent la loi, lorsqu’avançant d’un côté nous reculons de l’autre, et qu’en résumé, après une grande agitation, nous nous retrouvons toujours au même point ? Enfin l’administrateur comme l’administré, la réflexion comme le caprice ou la mode, veulent le bien, le préconisent, l’annoncent, le préparent ; mais arrivés là, nul n’a le temps ni le courage d’aller plus loin ; on remet toujours au lendemain.

Cependant le premier soin, le premier devoir de quiconque raisonne, ne devraient-ils pas être contre ces plaies ou contre la faim qui les représente toutes ? Avant de donner au peuple des spectacles et des monumens, ne faut-il pas lui donner du pain, c’est-à-dire le moyen d’en gagner ? N’est-ce pas là le premier degré ou la base de toute association équitable, de toute fondation sérieuse, de toute régénération morale ? Sans pain, où est la nation ; où est sa force et son avenir ? Quel est son code ? Celui de la faim, c’est la violence, c’est le meurtre, c’est l’assassinat, c’est la rage de la brute. D’un homme à un loup, quand l’un et l’autre sont affamés, à la différence ?

Il faut toute la force de nos habitudes, de notre respect pour la loi, ou peut-être toute la crainte de la prison et du bagne, pour empêcher dans nos villes la misère de se ruer journellement sur la richesse ; et le plus grand miracle de notre société, est que les actes de violence, tout fréquens qu’ils sont, ne le soient pas plus encore, et que la moitié de la population ne dévore pas l’autre.