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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/161

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LA DIVISION DU TRAVAIL

veloppe pas dans un groupe sans tendre d’un individu à l’autre un filet de sentiments sociaux, sans faire peser sur tous une même équerre, en un mot sans convier ou obliger incessamment les hommes à respecter leurs devoirs de solidarité.

Ainsi s’explique la persistance du lien social au milieu du progrès de la civilisation. Car il est trop clair que dans nos sociétés volumineuses et denses, où tout se mêle et où tous s’agitent, les ressemblances non seulement physiques mais mentales qui unissaient les individus vont s’effritant. Et par suite la communauté des consciences, qui reposait sur ces ressemblances, s’affaisse peu à peu. De tous côtés la part des traditions collectives est rognée. La mode l’emporte sur la coutume, la recherche sur la croyance, l’initiative sur le conformisme. Au milieu de cette décroissance générale de l’homogénéité, comment se fait-il que la cohésion sociale ne soit pas ébranlée ? C’est qu’elle s’appuie à un contrefort nouveau. La division du travail vient prendre la place de la communauté des consciences et, par la quantité, la complexité et l’intimité des rapports qu’elle établit entre les individus, restaurant la solidarité menacée, elle fournit ses points d’appui nécessaires à la vie morale.

Il faut ajouter seulement que, après cette restauration, l’axe de la vie morale est comme déplacé. L’ancienne solidarité éteignait en quelque sorte l’individualité. La nouvelle solidarité met les droits de l’individualité en lumière. Quand les ressemblances qui unissent les membres d’un groupe sont très nombreuses, les sentiments collectifs sont très intenses. Ils s’expriment en traditions pesantes, d’un caractère religieux, et en inter-