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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/162

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

dictions strictes, d’un caractère répressif. La conscience commune étouffe les consciences personnelles. Là au contraire où la division du travail est poussée très loin, cette conscience perd de son empire et laisse varier les individus. On leur reconnaît la faculté de différer, et si différents qu’ils soient les uns des autres, on leur conserve les mêmes droits. La solidarité est « organique » et non plus « mécanique » ; c’est-à-dire qu’elle implique la diversité et la spontanéité des éléments qu’elle unit. Les règles restitutives, destinées à faire respecter les intérêts individuels, gagnent sur les règles répressives, destinées à faire respecter l’autorité des sentiments communs. Le seul sentiment commun qui grandisse au milieu de ces transformations est précisément le culte de la personnalité humaine.

Ainsi la division du travail n’assure pas seulement la cohésion sociale, elle en modifie la nature, elle imprime une nouvelle orientation à notre moralité. Si elle ébranle sur plus d’un point l’obéissance aux traditions anciennes, elle fait passer au premier plan le souci de la justice. À la solidarité fondée sur l’annihilation des individus, qui les incline tous ensemble devant une force supérieure à eux, elle substitue une solidarité fondée sur le libre développement des individus, et qui les invite à respecter mutuellement leurs droits personnels C’est du respect de la personne humaine qu’elle fait le centre de la morale sociale.

Voici donc arrêté le jugement pessimiste que nous étions en train de porter sur la division du travail. Car il est clair que nous devons la respecter, si elle est pour notre moralité un principe de vie et de progrès, s’il est vrai que spontanément et quasi mécaniquement, rien