Aller au contenu

Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

présence les âmes se refroidissent et se contractent. Et ainsi, dans la mesure où la division du travail est responsable du développement de tout le système commercial, on peut dire qu’elle nous habitue à ne plus voir les hommes derrière les choses, à traiter les hommes comme des choses. Pour réagir contre ces influences isolantes et desséchantes, est-ce trop de toutes les forces assimilatrices qui par-dessous nos spécialisations continuent de nous rapprocher, nous rappelant ainsi que nous devons nous traiter comme des semblables et, attisant en nous la flamme vacillante du sens social ? Il est donc heureux que par certains côtés nous ne cessions pas de nous ressembler, s’il est vrai que faute de ces ressemblances persistantes les sentiments sympathiques perdraient de leur chaleur, et que cette chaleur est nécessaire à la vitalité du souci même de la justice.

Il est donc difficile de soutenir que la division du travail produit d’elle-même et mécaniquement la solidarité voulue. Il faut encore, pour parer aux tiraillements et aux disjonctions auxquelles son développement peut donner lieu, un certain nombre de conditions préalables : des situations économiques enfin égalisées, des groupements professionnels réorganisés, des consciences déjà socialisées. Il se dégage donc de l’apologie présentée par M. Durkheim une impression presque aussi pessimiste que celle que cherchaient à donner les critiques socialistes de la division du travail. Et en effet, pour reprendre un couple d’expressions dont Comte aimait à se servir, nous comprenons bien que les conditions en question sont « indispensables » à la division du travail pour l’exercice de sa fonction morale ; mais nous ne voyons nullement qu’elles soient