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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/179

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LA DIVISION DU TRAVAIL

à-dire qu’il y préparera les individualités les mieux faites pour se plier aux innovations spécialisatrices.

L’action de l’esprit ne sera d’ailleurs pas moins secondée sur ce point que celle de la nature. Pour que ces innovations puissent se faire jour, encore faut-il que les traditions reçues ne pèsent pas trop lourdement ; encore faut-il que la conscience collective admette les essais des consciences individuelles. Or c’est précisément dans les sociétés volumineuses, denses et mobiles que celles-ci sont le mieux libérées de la tyrannie de celle-là. Plus l’aire que doit gouverner la conscience collective est étendue, plus elle devient fatalement abstraite, indéterminée, et par suite tolérante. De même, plus les individus changent aisément de milieux, plus ils sont soustraits à l’influence immobilisante des anciens, gardiens des traditions. Plus enfin ils sont nombreux et concentrés, moins la surveillance exercée sur chacun d’eux est étroite et sévère. C’est donc dans les grandes nations et en particulier dans les grandes villes que s’abaissent le mieux la plupart des obstacles que peuvent rencontrer les innovations professionnelles. Il faut ajouter que c’est là aussi qu’elles trouvent les meilleurs stimulants. Ne sait-on pas, en effet, comme M. Tarde l’a montré, qu’une invention est le plus souvent le résultat d’une interférence, de l’entre-croisement de deux traditions diverses ? Or les agglomérations urbaines, recrutées par l’immigration bien plus encore que par la natalité, sont des centres de rendez-vous pour les traditions les plus variées venues des quatre coins de l’horizon. Ce sont ces milieux qui portent à leur maximum la variabilité et la souplesse mentale favorables au développement de la division du travail.