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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/180

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

On voit par là que l’explication morphologique n’exclut pas les explications psychologiques ; si l’accroissement de la densité pousse à la division du travail, c’est grâce aux facultés qu’elle met en jeu, et qui seules rendent possible le progrès de cette division. Mais il faut aller plus loin. Pour expliquer la possibilité de ce progrès, ce n’est pas seulement la diversité des aptitudes et la multiplicité des inventions, c’est le raffinement des besoins humains qu’il faut faire entrer en ligne de compte. Préoccupé de dénoncer l’insuffisance des théories qui se fient à la seule introspection, M. Durkheim montre justement qu’il ne saurait suffire, pour rendre compte de la division du travail, de postuler chez tous les hommes une vague aspiration vers plus de bonheur : bonheur incertain, aspiration elle-même problématique. Mais il reconnaît aussi que la division du travail ne saurait se développer là où les besoins humains ne croîtraient pas en nombre, en variété, en délicatesse. L’homme pressé par la lutte pour la vie chercherait en vain à vivre d’un métier spécial si ce métier n’avait à qui satisfaire ; pour que la spécialisation subsiste il faut, en faisant subsister son homme, qu’elle réponde à quelque exigence au moins latente.

Comment donc ce progrès des besoins s’explique t-il ? M. Durkheim le rattache à cette même cause qui est, suivant lui, le moteur de toute l’évolution sociale : la même concurrence née de la concentration, qui pousse à la création de nouveaux moyens, hâte aussi la maturation de besoins nouveaux. Et en effet, plus la lutte est ardente, plus les individus demandent à leur organisme, et plus celui-ci demandera à son tour. Pour restaurer un équilibre sans cesse menacé, ils se dépensent et s’ingénient de toutes façons. Leur corps plus