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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/181

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LA DIVISION DU TRAVAIL

vite usé réclame une nourriture plus abondante et plus variée. Leur cerveau surexcité devient plus délicat et plus difficile. Ainsi toutes sortes de raffinements, d’ordre matériel ou spirituel, passent au rang de besoins vitaux, prêts à utiliser les offres de la spécialisation croissante. L’accroissement de la densité multiplie et varie, du même mouvement, les modes de la consommation et de la production : il n’est pas étonnant, par suite, qu’ils continuent de se correspondre les uns aux autres.

On jugera peut-être que cette théorie voudrait être complétée, et que, pour rendre compte de la multiplication si rapide des besoins humains, c’est trop peu que d’attirer l’attention sur les dépenses de l’organisme et leurs répercussions. À cette explication psycho-physiologique, des explications psycho-sociologiques s’ajouteraient utilement. N’est-il pas vraisemblable, par exemple, comme le fait remarquer M. Gurewitsch, que la division même des sociétés en classes surexcite singulièrement le développement des besoins humains ? Dans les milieux ainsi disposés, ce n’est pas la lutte pour la vie pure et simple qu’on voit se déployer, c’est encore et surtout la lutte pour la puissance sociale. Le désir de se distinguer et le désir de s’assimiler, de marquer les distances ou de les effacer, de tenir son rang ou de sortir de son rang, voilà, sans doute, les ressorts secrets les plus puissants de la consommation. On l’a justement observé : de quelque produit qu’il s’agisse, c’est toujours le luxe qui l’inaugure et qui le lance. Et si tant d’objets de luxe sont considérés, avec le temps, comme des objets de première nécessité, c’est que la « capillarité sociale », comme disait M. Dumont, est universelle : l’inférieur fait tout ce qu’il peut pour