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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/183

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LA DIVISION DU TRAVAIL

n’est donc indispensable que sous condition. Pour que les hommes aient le sentiment de cette nécessité, il faut non seulement qu’ils veuillent vivre, sans quoi ils ne lutteraient même pas, — mais encore qu’ils veuillent vivre d’une certaine façon, qu’ils soient, en un mot, attachés à un certain idéal, — sans quoi ils auraient pu choisir d’autres dénouements à cette lutte. Parmi ces autres dénouements, M. Durkheim cite « l’émigration, la résignation à une existence plus précaire et plus disputée, enfin l’élimination totale des plus faibles, par voie de suicide ou autrement ». Pourquoi ces solutions ne sont-elles pas préférées, sinon à cause de certains sentiments préalablement installés dans l’âme des hommes ? S’ils ne se suicident pas, c’est qu’ils ont des raisons de tenir à la vie. S’ils ne se résignent pas, c’est qu’ils ont des raisons de tenir à un certain niveau de vie. S’ils ne se fuient pas, c’est qu’ils ont des raisons de tenir à une certaine communauté de vie. Le résultat de la communauté est donc, d’après les expressions mêmes de M. Durkheim, « contingent dans une certaine mesure » : sa nature dépend des sentiments que la pression de la densité sociale rencontre dans la conscience des hommes. Et sans aucun doute, ces sentiments eux-mêmes dépendent, dans une large mesure, des formes et des tendances de la société. Mais, du moins, ils ne découlent pas immédiatement de la concentration des masses. Ils ne sont pas expliqués par elle, et cependant ils sont nécessaires pour expliquer comment elle peut pousser à la spécialisation. Ce n’est qu’à travers une série d’états intérieurs que les modalités extérieures des groupements agissent, en définitive, sur la conduite des hommes.