Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRE LXXXIV.

Aaron Monceca, à Isaac Onis, caraïte, autrefois rabbin de Constantinople.

Lorsque je vois, mon cher Isaac, dans les différens pays que je parcours, un nombre de gens heureux, cependant ignorans, & presque réduits à l’instinct des bêtes, je réfléchis aux peines & aux soins que se donnent les gens de lettres, pour parvenir à transmettre leur nom à la postérité. Que de maux, que de chagrins, la plûpart n’essuient-ils pas ? Il faut que le desir de percer la nuit obscure des siécles ait quelque chose de bien fort, pour qu’on y sacrifie sans regret le tems le plus précieux de la vie, & le seul dont on jouit véritablement.

Du petit nombre d’années, auquel la nature a fixé le cours de la vie humaine, on doit en ôter les quinze premières : elles sont consumées, ou dans l’enfance ou dans les pénibles travaux de l’éducation. Dès qu’on est parvenu au treizième lustre, on ne fait plus que languir. L’esprit, ainsi que le corps, s’affoiblit, & est également en proie