Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 3.djvu/339

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ne les lit pas plus qu’un abbé de cour son bréviaire. La fureur du bel-esprit est si grande en France, que si Fontenelle ou Voltaire s’étoient avisés d’apprendre à danser sur la corde, ils auroient eu le plaisir de voir bientôt voltiger quatre ou cinq cent personnes dans toutes les grandes villes. Il y a tel de mes amis qui jamais sçu si Descartes a écrit en Hébreu ou en François qui dit réguliérement trois fois par jour que ce philosophe a démontré clairement, que la terre tournoit, & que le soleil étoit fixe. Il a oui parler du systême Cartésien ; il en a retenu cette particularité. Il aborde peu de gens à qui il ne la communique. Il la place parmi les jolies choses qu’il débite tous les jours à cinq ou six femmes. Un autre de mes compagnons a appris par cœur dix vers de Racine, huit de Corneille, deux phrases de la Bruyere, une de Montagne, & un demi-vers de Virgile ; & s’estime l’homme de France le plus érudit. Chaque jour il employe ces passages, & les fait entrer bien ou mal dans la conversation. Dût-il citer les vers de Racine au sujet de l’écriture, le passage de la Bruyere à propos des pantoufles du grand-mogol, il faut qu’il étale son érudition. Vous