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LE SECRET

presque complètement oubliés en écoutant cette musique.

« Si mon pauvre ami George Talboys était mort dans mes bras, et que je l’eusse enseveli dans cette église à l’écart de tous les bruits du monde et sous une des voûtes que je foule aux pieds, que de tourments et d’hésitations je me fusse épargnés ! pensait Robert en déchiffrant les inscriptions à moitié effacées des tablettes de marbre sans couleur. Sa destinée m’aurait été connue, j’aurais su où il reposait. Ah ! c’est cette misérable incertitude et les horribles soupçons qu’elle fait naître qui empoisonnent ma vie. »

Il regarda sa montre.

« Une heure et demie, murmura-t-il. Il faudra que j’attende quatre ou cinq mortelles heures avant que milady soit de retour de ses visites… Ses visites du matin… ses jolies visites de cérémonie et d’amitié ! Grand Dieu, quelle comédienne que cette femme ! Quelle habile trompeuse ! Elle connaît toutes les roueries du mensonge. Mais elle ne jouera pas plus longtemps la comédie sous le toit de mon oncle. J’ai assez parlementé. Elle a dédaigné un avertissement indirect. Ce soir, je parlerai clairement. »

La musique cessa, et Robert entendit fermer l’instrument.

« Il faut que je voie le nouvel organiste qui vient enterrer son talent à Audley et jouer les plus belles fugues de Mendelssohn à raison de quinze ou seize livres par an. »

Il se planta au milieu du porche, attendant que l’organiste eût descendu l’escalier tortueux. Dans sa situation d’esprit et avec la perspective de s’ennuyer pendant plusieurs heures, Robert était bien aise de trouver une distraction, quelque futile qu’elle fût. Il se laissa donc aller librement à sa curiosité au sujet du nouvel organiste.