Page:Bronte - La Maitresse d anglais - tome 1.djvu/50

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Tant qu’ils se bornèrent à cette lutte, je les laissai faire ; mais lorsque l’un d’eux mit la main sur moi, je compris que j’étais menacée du même sort, et je m’élançai dans un des bateaux, en déclarant que j’entendais être fibre de mon choix. Cet acte de décision coupa court aux débats et me donna un protecteur dans le propriétaire du bateau. La malle, enlevée par lui d’autorité, suivit sa maîtresse.

La rivière était noire comme l’encre ; les lumières des maisons voisines scintillaient sur de courant comme autant de feux follets. Mes deux rameurs, — ils étaient deux, — passèrent devant plusieurs navires dont je pus lire, à la clarté de notre lanterne, les noms points en grandes lettres blanches sur un fond noir : c’étaient l’Océan, le Phénix, le Dauphin, etc. Le navire que nous cherchions, l’Éclair, stationnait encore plus loin.

En glissant sur ces ondes ténébreuses, je pensais aux fleuves de l’enfer mythologique, à Caron passant dans sa barque une ombre solitaire ; mais au milieu de cette lugubre scène avec la bise glacée qui me soufflait au visage, la pluie qui tombait à verse et les blasphèmes de mes grossiers compagnons si quelque chose m’étonnait, c’était de me sentir si peu malheureuse, si peu effrayée.