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Aussi pour peu qu’ils aient quelque mérite littéraire, ou bien que le sujet en soit intéressant, on les recherche beaucoup, et on les paie quelquefois assez cher. Par malheur, la plupart du temps, ces raretés bibliographiques sont d’une nullité si complète que personne ne se soucie de les acquérir. On peut placer dans cette classe de raretés insignifiantes un certain nombre de livres qui, à la vérité, ont été tirés à 1 000 ou 1 500 exemplaires, mais dont il n’en aura peut-être pas été vendu vingt ; en sorte que faute d’acheteurs l’édition aura été presque entièrement détruite. Quelquefois aussi la rareté d’un livre est le résultat, soit d’une condamnation judiciaire, soit d’une suppression volontaire, soit d’un incendie, soit enfin d’un naufrage ou de tout autre désastre.

Beaucoup de livres imprimés à l’étranger sont rares chez nous ; néanmoins cette rareté n’est que relative et souvent même momentanée. Ainsi des livres imprimés en Asie et en Amérique, qu’on aurait pu montrer comme d’insignes curiosités, il y a à peine un demi-siècle, se rencontrent aujourd’hui assez fréquemment dans les ventes publiques. Les presses de Calcutta et de Serampour, celles de Macao et de Lima, comme celles de Mexico, contribuent journellement à enrichir nos bibliothèques, et déjà les terres australes elles-mêmes nous fournissent leur tribut littéraire.

Les Éditions des Alde, et celles des Elseevier.

La renommée dont jouissent depuis si longtemps les éditions aldines est, à leur grand honneur, plus fondée sur leur mérite réel que sur leur beauté ; car, il faut en convenir, les caractères italiques, assez grêles, qu’on y a presque toujours empioyés, tant pour les textes latins que pour les textes italiens, n’ont rien d’agréable a l’œil, ils sont même inférieurs à ceux du même genre dont plus tard ont fait usage les imprimeurs français. Ce qui donne du prix à ces livres d’un extérieur modeste, c’est qu’ils sont assez correctement imprimés et que le papier en est d’une bonne qualité. Mais ce sont principalement les éditions grecques qui perpétueront la gloire des trois Manuces, et surtout celle d’Alde l’ancien, cet infatigable promoteur des études de la littérature hetténique. Cependant, comme dès l’origine ces éditions princeps ont été recherchées des savants et soigneusement conservées dans les bibliothèques, elles ne sont pas, à beaucoup près, aussi rares que celles de plusieurs auteurs latins sorties des mêmes presses. Ces dernières, comme par exemple le Virgile de 1501 et celui de 1505, ou comme l’Horace de 1501, étaient destinées aux jeunes étudiants, et, par suite du fréquent usage qu’on en a fait, elles ont presque entièrement disparu. Au contraire, parmi les bettes éditions grecques des Manuces, il n’y a guère que le Musée, la Galeomyomachia, et peut-être encore les Scolies sur le Nicandre réuni au Dioscoride de 1499, auxquels conviennent véritablement cette qualification de très-rare, si gratuitement appliquée à d’autres livres anciens d’une rareté beaucoup moins grande. La même qualification peut également être accordée à un certain nombre d’ouvrages d’un intérêt très-secondaire, et mieux encore à des opuscules éphémères que pendant un siècle les presses aldines ont successivement mis au jour. Ces livres, sans aucune importance réelle, et par conséquent bien dignes de l’oubli où ils étaient plongés, n’ont dû, il est vrai, une sorte de résurrection qu’au besoin que quelques curieux en ont eu pour compléter la collection des Manuces. Au surplus, voici ce qui arrive journellement à l’égard des prix de ces curiosités d’une rareté relative : un exemplaire nouvellement découvert vient-il à paraître dans une vente, la concurrence de deux ou trois amateurs le fait monter à 200 fr., à 300 fr. et plus encore ; mais si un second exemplaire est offert après que la concurrence