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Je me suis toujours demandé pourquoi nous avions des élections en Canada. C’est la chose la plus inutile et la plus embarrassante au monde.

Tout candidat qui veut briguer les suffrages n’a qu’à se présenter chez son curé et lui annoncer sa détermination de sauver les âmes de toute la paroisse, ce qu’il peut exprimer par cette formule :

« Je jure de voter contre toute loi qui tendrait à l’abolition de la dîme ;

« Je jure de voter contre toute loi qui empêcherait les corporations religieuses d’hériter,

« Je jure de voter contre toute loi qui enlèverait au clergé une parcelle du monopole de l’éducation ;

« Je jure de voter contre toute loi qui bannirait le fanatisme des écoles en les rendant libres…, etc… »

Cette formule peut être variée suivant les circonstances. L’essentiel est qu’on atteigne le but, qui est la sanctification des comtés par l’enrichissement des corps religieux.

Je frémis en songeant à la hauteur d’arrogance et d’absolutisme effréné où peut atteindre l’homme envers qui toute la presse inepte rivalise de servilité et de dégradante adulation.

La lettre suivante en fera foi. Elle est un peu ancienne ; mais cela est indifférent. Depuis lors, cette arrogance n’a fait que croître et embellir.

C’est l’évêque de Montréal qui écrit au docteur B., professeur à l’école de médecine canadienne :

Montréal, 31 juillet, 1861.

« Monsieur, — Je suis profondément affligé en voyant l’attitude que prend votre Faculté de Médecine vis-à-vis de la religion. Elle n’ignore pas sans doute que l’Institut Canadien soit en flagrante désobéissance à l’Église qui condamne ses principes comme irréligieux, et sa bibliothèque comme impie et immorale. Cependant votre Faculté reçoit dans son sein et même met à sa tête des membres de cette Institution dont l’autorité ecclésiastique a signalé aux catholiques de ce diocèse les dangers pour leur foi et leurs mœurs. Par ce procédé que je ne puis m’expliquer, votre Faculté me force de lui retirer la protection que je lui avais accordée de si bon cœur, en lui donnant entrée dans nos institutions religieuses où elle n’aurait jamais, je pense, mis le pied sans mon intervention.

« Mon intention était de ne pas m’arrêter en si beau chemin et je méditais quelque chose de mieux encore pour donner à votre Institution une importance encore plus grande. Mais après cet acte de mépris de l’autorité divine dont je suis dépositaire, je me vois réduit à la pénible nécessité de rétracter ce que j’ai pu faire pour lui concilier la confiance publique.

« Il n’y a vraiment plus moyen pour le clergé de recommander aux élèves sur lesquels il peut avoir quelque influence, de fréquenter vos cours, et votre Faculté se trouve dans une position d’autant plus fausse que l’Université Laval, qui offre toutes les garanties possibles pour la foi et les mœurs de ses étudiants, est à notre portée, et qu’il est facile d’y faire arriver nos jeunes gens qui se distinguent le plus par leurs talents et leur bonne conduite.

« Je regrette beaucoup de me trouver dans la nécessité d’accomplir un devoir rigoureux et ce serait, n’en doutez pas, un vrai bonheur pour moi si les raisons qui m’empêchent d’être, comme par le passé, tout dévoué à votre institution, disparaissaient.

« Je suis très-véritablement,
« Votre très-humble serviteur,
« † Ig., Évêque de Montréal. »