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Les monarques luttent contre les peuples, parce que les peuples ont des droits à conquérir et que les rois n’ont que le pouvoir à conserver.

Qui a séparé les rois des autres hommes ? Le fait. Quels droits ont-ils à maintenir ? Aucuns. Car ils ne sont rois que pour leurs peuples, et leur autorité ne leur a été que déléguée, loin d’exister de par elle-même et de constituer un droit spécial, d’une origine surhumaine.

La royauté est incompatible avec le désordre. Sans doute, si vous appelez désordre la réclamation constante et répétée des droits que les souverains refusent de reconnaître aux peuples, en rendant par là les révolutions inévitables.

L’ordre règne en Russie. Le peuple n’y demande rien, parce qu’il ne connaît pas ses droits. Ignorant et barbare, il reste courbé sous un joug de fer, sans se douter seulement qu’il existe des nations libres.

L’ordre règne en France avec le concours de six cent mille baïonnettes. Mais les peuples, qui ont une fois connu la liberté, ne peuvent plus être menés comme un troupeau de bétail.

Vous parlez de la tranquillité, de l’ordre des monarchies. Y eut-il jamais empire plus troublé, plus livré à l’anarchie, aux guerres civiles, aux excès sans frein de la soldatesque que l’empire romain ? Est-il un souverain plus inquiet aujourd’hui sur son trône que Napoléon iii ? Comment se maintinrent Ferdinand vii et Isabelle ii ? Par les massacres.

C’est la lutte éternelle de l’autorité contre le droit qui, une fois se connaissant, veut s’affirmer et se voir reconnu.

« Toutes les perturbations sociales sont venues de la révolution. Sans la révolution, la tranquillité publique n’eût jamais été troublée. »

Je voudrais bien savoir où les hommes en seraient aujourd’hui sans les révolutions. Elles troublent la tranquillité, bien sûr, de même que lorsque, pour assainir une ville, vous desséchez un marais, vous en troublez les eaux croupissantes. Il y a tant à faire dans les sociétés corrompues et abâtardies par le despotisme, que les révolutions, pour produire des résultats durables, sont obligées de les bouleverser de fond en comble.

En s’arrêtant à la surface, elles ne créent qu’une agitation inutile, suivie bientôt de la réaction, et tout est à recommencer, comme cela a eu lieu pour toutes les révolutions espagnoles depuis 60 ans. Mais aujourd’hui, la dernière de ces révolutions, consciente de sa mission et de son objet, a accompli des choses sur lesquelles il sera impossible de revenir.

« Il est inouï que les républiques aient été attaquées par le principe monarchique au moyen de la violence, du vol public et des grandes boucheries d’hommes qui ont accompagné la chute des trônes Les républiques n’ayant contre elles aucune des influences indues qui travaillent contre les monarchies, il est surprenant que leur règne ne soit pas perpétuel. »

Vous oubliez sans doute les proscriptions d’Auguste qui noyèrent Rome dans le sang, le coup d’état de Napoléon iii, les boucheries