Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
DU BUDDHISME INDIEN.

les théistes l’absorption de la vie individuelle en Dieu, et pour les athées l’absorption de cette vie individuelle dans le néant. Mais pour les uns et pour les autres, le Nirvâṇa est la délivrance, c’est l’affranchissement suprême.

Cela est si vrai que l’idée d’affranchissement est la seule que les interprètes tibétains aient vue dans le mot de Nirvâṇa, car c’est la seule qu’ils ont traduite. Dans les versions qu’ils donnent des textes sanscrits du Népâl, le terme de Nirvâṇa est rendu par les mots mya-ngan-las-hdah-ba, qui signifient littéralement « l’état de celui qui est affranchi de la douleur, » ou « l’état dans lequel on se trouve quand on est ainsi affranchi. » Ouvrez tous les dictionnaires tibétains que nous possédons, celui de Schröter, celui de Csoma de Côrôs et celui de Schmidt, vous les trouverez tous unanimes sur ce point. Le premier traduit cette expression par « mourir, mettre un terme au trouble et aux afflictions[1], » et il rend une des locutions composées où elle figure par « obtenir le salut éternel. » Csoma la rend ainsi : « l’état d’être délivré de la peine, » et dans un autre endroit, « un être délivré de la peine, la mort, l’émancipation[2]. » M. Schmidt, enfin, l’interprète par « être affranchi du chagrin, » et dans un autre endroit par « l’état d’être affranchi de la loi de la transmigration[3]. » Les interprètes tibétains entendent donc par Nirvâṇa l’affranchissement, et en particulier, comme le dit M. Schmidt, l’affranchissement de la loi de la transmigration ; mais ils ne nous indiquent pas de quelle espèce est cet affranchissement, et leur interprétation ne répond pas plus que ne fait le terme de Nirvâṇa aux nombreuses questions que suscite ce terme difficile.

Je dis plus encore : cette version nous instruit moins que le mot sanscrit original, car ce n’est pas une traduction à proprement parler ; c’est un commentaire. Si le mot Nirvâṇa ne nous montre pas ce qui est détruit dans l’état de Nirvâṇa, il nous laisse voir du moins qu’il y a une destruction. Le tibétain, en disant que le Nirvâṇa est l’affranchissement de la douleur, nous apprend l’effet dont le Nirvâṇa est la cause, et laisse dans l’ombre et cette cause et son mode d’action. Ici donc, on peut l’avancer hardiment, les interprètes tibétains ont traduit trop et trop peu : trop, car ils ont vu dans le Nirvâṇa plus que ce terme ne dit, savoir l’effet du Nirvâṇa ; trop peu, car ils ont passé sous silence le mode d’action du Nirvâṇa, et le véritable état que ce terme exprime, l’anéantissement. Tout cela, au fond, revient à peu près au même ;

  1. Bhotanta Diction., p. 290, col. 1.
  2. Diction. Tibet. and English, p. 134, col. 2, et p. 194, col. 2.
  3. Tibet. Deutsch. Wörterbuch, p. 270, col. 1, et p. 423, col. 1. M. Schmidt a bien vu que l’expression tibétaine répondait au mot Nirvâṇa.