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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/24

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LETTRE DE LOUIS XIV À MADEMOISELLE DE MANCINI.

J’ai fait le Cardinal capot ; il n’a su que me dire sur ma science et je ne sais que vous apprendre de mes sentimens. Je suis roi, et le grand amour me rend muet ; cependant mon cœur me dit mille choses à votre avantage. Le dois-je croire, mademoiselle ? Serai-je heureux ? Si cela est, diligentez-vous de m’en apprendre la nouvelle, l’état où je suis étant digne de pitié.

Mademoiselle de Mancini fut interdite à l’ouverture de cette lettre, et encore plus quand elle l’eut lue ; mais son embarras fut pour y répondre, elle qui n’avoit jamais eu de relations avec de telles puissances. Cependant elle s’y croyoit obligée, et l’eût fait sur-le-champ sans que le duc de Saint-Aignan [1], qui en avoit été le porteur, s’y opposa, disant à mademoiselle de Mancini qu’il lui laissoit le temps de la réflexion, afin, par ce retard, de connoître l’amour du Roi, dont il étoit bien aise de se servir

  1. Le comte de Saint-Aignan joue un grand rôle dans toutes ces histoires. Né en 1608, François de Beauvilliers avoit alors cinquante ans, et il avoit fait ses preuves dans un grand nombre de combats. Galant sans passion, complaisant par politesse, celui qu’on appela depuis ironiquement duc de Mercure présente un tel caractère qu’on est plus tenté d’accuser sa légèreté que de condamner son infamie. Favori du roi, qui le fit duc en 1661, Saint-Aignan étoit fort connu comme bel esprit. Ce qu’il a laissé de vers, imprimés ou manuscrits, formeroit des volumes. Quand il mourut, en 1687, il étoit membre de l’Académie françoise et protecteur de l’Académie d’Arles, dont les membres ne tarissent pas sur son éloge.