Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/147

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— Voyons, il faut être raisonnable. La journée de congé est expirée. Tu dois rentrer au couvent, te voilà maintenant une grande demoiselle.

Une grande demoiselle, ce bout de gamine, gracile dans sa petite robe de costume, serrée comme un fin stylet dans un étui de maroquin. La jolie tête pâle de l’enfant, où des boucles noires s’ébouriffent, oscille de droite à gauche dans une moue obstinée.

— Non, je ne veux pas m’en aller !…

La mère secoue brutalement la fillette et desserre l’étreinte d’acier des petits bras noués autour de son cou, dans une ardente supplication, furieuse intérieurement de cette scène devant la visite.

— Bon, en voilà assez. Marie, appelle-t-elle, faites conduire Juliette au couvent.

L’enfant se coule par terre et doucement s’en va vers la porte. Elle ne pleure plus, toute pâle, les lèvres blanches.

— Toi aussi, tu ne m’aimes pas !…

Et elle se sauve.

Toutes ces dames sont restées glacées, cette plainte de fillette a touché une corde qui vibre même chez la coquette. Vainement, une bonne amie félicite la mère de sa fermeté : « Les enfants sont gênants à la maison, ils prennent tout le temps, heureuses, celles qui peuvent s’en débarrasser !… Quand on a vingt-cinq ans, on ne peut s’enterrer toute vive entre quatre murs, avec cinq ou six marmots. »

Mais ces paroles tombent douloureusement dans le vide. Le spectre de la petite pensionnaire de cinq ans que l’on arrache brutalement du nid, pauvre oiselet qui zézaie encore ! oui, ce spectre de l’enfantine souffrance, jette une ombre sur cette réception tout-à-l’heure si gaie.