Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/79

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mander permission, Aussi, l’obscurité des quartiers pauvres a-t-elle protesté contre l’indélicatesse des gouvernants du peuple. Pas une petite chandelle dans les carreaux noirs, pas de ces décorations naïves qui ne font jamais sourire, parce qu’on y voit l’expression d’un sentiment patriotique. Je me souviens qu’à la dernière Saint-Jean-Baptiste, une brave canadienne avait arboré son jupon de flanelle rouge en guise d’étendard. Les rideaux, les portières, les couvertures de pianos et de tables, les images coloriées, les chiens de plâtre, tout était mis dehors pour fêter le grand jour.

— Quarante ans après je dirai, parodiant Dumas, le peuple qui avait acclamé le père se porte au devant du fils, goguenard et narquois cette fois, pour se payer la tête des visiteurs royaux.

— Comment, ce n’est que ça ! murmurait la foule ennuyée, en s’écoulant lentement. Un futur roi, qui salue d’un mouvement automatique, sans qu’un muscle trahisse une joie intérieure de voir son bon peuple canadien.

Pourquoi cette subite volte-face dans les sentiments ? La royauté est-elle changée depuis quarante ans ? Non, c’est toi, peuple chéri, qui as évolué à ton insu. Autrefois, tu la parais des oripeaux de grandeur et de majesté ; maintenant que tu lui retires ce rayon émanant de toi, elle apparaît telle que notre satellite quand le soleil lui retire sa lumière : une face de néant se perdant dans la nuit. Le prestige de la couronne et du trône s’est décoloré, à la clarté crue de l’astre liberté.

Peuple chéri, tu as laissé tes langes et tes lisières, abandonne maintenant les puérils hochets de l’enfance. Essaie tes premiers pas incertains — va tout droit, sans chanceler, les yeux fixés sur tes glorieuses destinées. Ne ploie le genoux que devant Dieu !