Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/359

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recherches[1] », c’est que celui qui les a créés s’est soumis lui-même au scalpel de sa froide analyse, s’est « subjectivé » dans son œuvre.

Ce que Dostoïevsky décrit, avec une rigoureuse exactitude et une subtilité psychologique rarement atteinte par d’autres, c’est, on le conçoit aisément, non pas tant la crise convulsive dont il ne pouvait conserver qu’un très vague souvenir, que l’aura qui la précède. En veut-on un exemple ? Un de ses romans va nous le fournir :


Il (l’Idiot) songea à un phénomène qui précédait ses attaques d’épilepsie, quand celles-ci se produisaient à l’état de veille. Au milieu de l’abattement, du marasme mental, de l’anxiété qu’éprouvait le malade, il y avait des moments où son cerveau s’enflammait tout d’un coup, pour ainsi dire, et où toutes ses forces vitales atteignaient subitement un degré prodigieux d’intensité. La sensation de la vie, de l’existence consciente était presque décuplée dans ces instants rapides comme l’éclair. Toutes les agitations se calmaient, toutes les perplexités se résolvaient d’emblée en une harmonie supérieure, en une tranquillité sérieuse et joyeuse, pleinement rationnelle et motivée. Mais ces moments radieux n’étaient encore que le prélude de la seconde finale, celle à laquelle succédait immédiatement l’accès. Cette seconde assurément était inexprimable. Dans ce dernier moment de conscience, le malade pouvait se dire clairement et en connaissance de cause : « Oui, pour ce moment on donnerait toute une vie. » Dans ce moment, il me semble que je comprends le mot extraordinaire de l’apôtre : « Il n’y aura plus de temps. » Et il ajoutait avec un sourire : « C’est sans doute à cette même seconde que faisait allusion l’épileptique

  1. Dr Gaston Loygue, Étude médico-psychologique sur Dostoïevsky. Paris et Lyon, 1904.