Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/65

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dit en souriant : « Vous voyez, docteur, comme je suis estimé à Paris, on me porte en triomphe ! »

Particularité notable, son estomac continuait à fonctionner admirablement ; il mangeait d’un appétit dont il avait peine à satisfaire les exigences ; mais il se droguait le moins qu’il pouvait, jetant les médicaments à l’insu de son médecin qui passait souvent un mois entier sans lui rendre visite, et qui, disait le malade en plaisantant, « est de si petite taille[1], qu’on pourrait presque dire que je n’ai pas de médecin ».

Se sentant mieux, Heine voulut tenter une sortie : il espérait que l’air lui ferait du bien. Il se fit transporter jusqu’au Louvre. Il entra au rez-de-chaussée, dans une galerie du musée de sculpture ; il s’assit en face de la Vénus de Milo. Là, dans un demi-jour, sous l’influence de cette beauté plastique divine, qui désormais ne serait pour lui qu’un souvenir, il resta plongé dans un état extatique.

« Ah ! que ne suis-je tombé mort, là même, en cet instant, s’écriait-il. Oui, j’aurais dû m’éteindre dans cette angoisse ! »

Et après un court silence, reprenant un ton railleur :

« Mais la déesse ne m’a pas tendu les bras ! Vous

  1. Le Dr Gruby, que nous avons connu dans les derniers temps de sa vie, était, en effet, très petit.