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Funérailles d’Emile Zola

rester, jetant peut-être un voile sur certaines, qui ont provoqué chez les uns tant de protestations et de colères, chez les autres tant de froissements de délicatesse et de pudeur, et qu’il a considérées comme inévitables, dans son souci profond de sincérité et de vérité.

C’est ce souci de sincérité et de vérité, animé par un grand sentiment de pitié et de justice, qui a dominé à la fois sa vie et son œuvre.

Dès le début, il s’est donné à une mission, mission, jadis, par beaucoup méconnue et raillée, admirée aujourd’hui, qu’il a suivie sans relâche, sans défaillance, et qu’il accomplissait encore quand la soudaine mort l’a frappé.

Quelle mission ? Faire et laisser de la société actuelle, de ses organes et de leur fonctionnement, des milieux dans lesquels elle se meut, des hommes qui la composent, des passions qui les agitent et les gouvernent, et aussi de ses vices, de ses tristesses et de ses misères, des souffrances de ses déshérités, un tableau si saisissant et si vrai, que de sa contemplation se dégage aux yeux de tous, des plus aveugles comme des plus clairvoyants, la nécessité de porter remède à ces souffrances, de combattre ces vices, d’adoucir ces tristesses.

Qui donc peut avoir oublié ce foyer de travailleur, si calme, qu’éclairait le sourire d’un enfant, et que la passion du mari pour l’alcool fait sombrer dans le désordre de la détresse et la folie ? Ne sentons-nous pas encore l’angoisse qui nous étreignait, lorsque, guidés par la main du conteur — pourquoi ne pas dire du poète — nous suivions les galeries étroites des mines, témoins à chaque pas du labeur dangereux et dur, de la si rude vie du mineur ? Cette vision peut-elle désormais s’effacer de notre esprit ? Combien d’autres aussi émouvantes hantent notre souvenir !

À ce qui eût pu n’être qu’une admirable œuvre littéraire, document inappréciable d’une époque, peinture à jamais vivante d’un temps qui se modifie sans cesse et sera demain disparu, le puissant souffle généreux qui l’a inspiré donne une grandeur supérieure, assure une gloire plus haute encore.