Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/33

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de douleurs amassées. Je ne ferai pas à Zola le reproche, pudique ou perfide, d’en avoir « trop mis » dans ses fresques. Trop osé, non. Pas assez plutôt, puisqu’il annonçait un cycle total. Après les flores du Paradou, les nourritures de Paris, les relents de l’Assommoir, les houilles de la Mine, le fumier de la Terre, le sang de la Débâcle, et quoi encore ? après ces orgies de nature épuisantes ou charmeresses, on souhaiterait une lumière, un repos, je ne sais quelle porte entr’ouverte. Il n’a pas voulu, ou il n’a pas pu. C’était contraire à son système. C’est dommage, c’eût été plus beau. Un autre a tenu la gageure. La Guerre et la Paix a des pages atroces. Il s’y trouve aussi quelques lignes qui s’appellent la mort du Prince André. De ces quelques lignes, plus tard, est sorti ce chef-d’œuvre unique : Résurrection. On les chercherait vainement dans les trente romans de Zola. Je n’indique pas un regret. Je constate une lacune immense.

C’est que la tâche de l’Artiste, c’est de dénombrer, il me semble, non point les mille reflets des choses, mais les mille forces de l’esprit. Ce n’est pas « Nature » qu’il suffit de dire. La Nature est beaucoup. L’Art est plus. Le sujet, le seul tout de l’Art, c’est l’Homme. Le plus grand art n’est pas réaliste, il est, en ce sens précis, humaniste. Car l’Homme enferme la Nature — qui est l’humanité passée — et aussi l’avenir humain, dont nul ne peut entrevoir le terme.

Je sais bien que Zola ne l’eût pas nié. Telle phrase de ses essais va étrangement loin dans ce sens. Je sais bien que ses derniers livres, les « Trois Villes », les « Trois Évangiles », s’efforcent vers des synthèses plus hautes, abordent des notions plus complexes, les conflits