Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/36

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réalisé. Il eut la divination géniale, la précision scientifique, et l’expérience, pour le coup, vint contrôler son hypothèse.

Je ne reviens pas sur l’histoire. Elle est trop près de nous, vit encore. Je note un point laissé dans l’ombre. Zola n’avait pas tout prévu. Il avait escompté le triomphe. Ce fut l’écrasement qui survint. Je ne dis pas qu’il n’eût point risqué même une défaite assurée. Mais ce victorieux, d’abord, ne pouvait pas croire au martyre. Il ne croyait qu’à la lutte atroce suivie de la revanche totale. Il vécut assez pour voir son erreur. Ah ! c’est ici qu’il est très grand. Je lui sais moins de gré, quant à moi, d’avoir poussé son fameux cri de guerre que d’avoir persévéré vaincu, quand l’espoir n’était plus possible, toujours plus lucide et plus affermi. À suivre la Vérité en Marche, on peut comparer les divers articles qu’il jeta au vent des tempêtes. On y constate un progrès constant, on y discerne un son qui monte et qui chante toujours plus haut. Je me rappelle, au lendemain de Rennes, l’admirable impression vécue à lire ses paroles venues d’exil. Et plus tard, après l’amnistie, quand il la vit acceptée par tous — même par Jaurès, « le grand Jaurès ! » — quelle âpre douleur d’homme libre détaché de tous les partis ! Sa dernière parole en public, dans un banquet où régnait, au dessert, la fameuse « chaleur communicative », fut : « Ne nous félicitons pas… » Voilà l’attitude de l’Artiste en face du perpétuel, du nécessaire avortement qu’est toute action politique : il maintient les droits du solitaire, la sauvagerie de l’absolu. Qu’il se soit levé de la sorte, nous en sommes tous restés debout.

Et il en reste, lui, plus grand. C’est beaucoup, c’est