Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/37

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trop peu de dire que son œuvre impliquait un tel acte, qu’il n’a fait qu’appliquer sa méthode. Oui, certainement, c’est un signe qu’un homme uniquement épris de science et de vérité ait été, par surcroît, « un voyant », que le rôle d’apôtre ait été tenu par un écrivain libéré de tout dogme, de toute attache chrétienne, et que nul écho, à sa voix, n’ait vibré dans les sanctuaires. C’est le signe que l’idéal est une chose naturelle, qu’on y marche invinciblement dès qu’on veut essayer d’être probe, et qu’au bout de tout acte ordinaire se trouve l’immense héroïsme. Mais ne disons pas que cet homme ne s’est pas dépassé lui-même, qu’il est demeuré, après cet acte, celui qu’il était auparavant, qu’il n’est pas entré, à dater de ce jour, dans un grave royaume inconnu qu’il avait ignoré jusque-là. Chacun l’a senti, et le vide que cela faisait autour de lui. Qu’il n’ait pas trouvé de formule pour baptiser sa découverte, il n’importe : nous l’avons déjà…

Je crois qu’il n’était pas très loin d’être, après tout, de cet avis. Puisque chacun, en ce moment, évoque des souvenirs personnels, voici celui que je conserve. Je n’ai rencontré Zola — seul à seul — qu’une fois, en hiver, voici deux ans. Je le vois assis à son bureau, le soir, dans son cabinet de travail, une couverture grise sur ses genoux, le cou protégé d’un foulard blanc. Une lampe brûlait sur la table, éclairant le grand front découvert, la face tourmentée, indécise, l’intense regard d’amertume. Il me semble, à distance, que ce visage sort des ténèbres où Carrière se plaît à noyer ses portraits. Nous parlâmes littérature, théâtre. Je risquai, sur la fin, une allusion aux événements politiques. Il répondit deux mots, se tut, puis reprit de sa voix mordante :