Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/38

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« Cette affaire m’a rendu meilleur. » Tout ce qu’on pourrait dire de plus sur les rapports mystérieux de son action et de son œuvre serait moins simple, et donc moins beau.

Il est mort, comme Balzac, en pleine force, après avoir fait sa carrière, sans avoir connu le déclin. C’est une mort enviable entre toutes. On a déploré qu’il n’ait point goûté les justes retours, la vieillesse heureuse, l’apothéose inévitable, la vaste bacchanale émue qui roula, par un soir de printemps, autour du calme cercueil d’Hugo endormi sous les claires étoiles. Petites choses, en face de la mort, que les gestes de ceux qui survivent. Je trouve que son enterrement, qui fut sa dernière bataille, avait l’allure qui convient à ce guerroyeur impénitent, trop chagrin pour faire un patriarche. Le heurt des vivats et des outrages est une apothéose aussi, la preuve qu’on est vivant encore. Hugo l’aurait connue, celle-là, au lendemain de ses Châtiments. Et chacun a sa destinée.

Il est mort debout, foudroyé soudain, dans une atmosphère irrespirable, en allant ouvrir la fenêtre qui lui eût rendu la vie, l’espace. Chute au plus haut point symbolique. Moralement aussi, il était en route, émergeant des miasmes putrides, pour ouvrir la haute fenêtre au delà de laquelle est l’air pur. C’est la mort qu’il a rencontrée. Qui oserait dire avec certitude qu’elle a terminé sa Recherche ?

Gabriel Trarieux