Page:Cahiers de la Quinzaine - 8e série, numéros 1 à 3, 1906.djvu/263

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vraiment monstrueux. Il fallait aussi qu’il eût gardé, aggravé la prudence ecclésiastique. Et enfin il y allait du caractère même de cet homme : ici apparaît déjà, ici apparaît dans sa manifestation peut-être la plus grave cette prudence de Renan, qui empêche un homme de se mettre mal avec les puissants du jour, mais qui le sauve aussi d’atteindre aux vérités, qui sont des personnes essentiellement compromettantes.

Le caractère même de Renan apparaîtrait ici sous un assez vilain jour. On me dit d’ailleurs que sans doute il ne faut pas traiter ce livre comme un livre de jeunesse, malgré les apparences, et malgré la présentation que Renan lui-même nous en fait. À cette date, me dit-on, Renan n’était plus jeune, en supposant, ce qui est fort contestable, qu’il eût été jeune jamais. Il avait vingt-cinq ans en 1848. Mais ce n’étaient pas les vingt-cinq ans de tout le monde : c’étaient vingt-cinq ans de Renan ; et les années de séminaire avaient compté double. Au moins comme avertissement, prétérition, timidité, méfiance, contrariété intérieure, analyse, pénétration, confession, retour sur soi-même, et sur les autres, défiance de soi-même et des autres, désenchantement, enseignement de silence, leçon d’extrême prudence. Connaissance du monde et des dangers qu’il y a dans la vie. C’est-à-dire, en dernière analyse, comme vieillissement. En outre sa sortie du séminaire, et ainsi de l’Église, avait été comme une mort intellectuelle et morale, une première mort, un premier achèvement, une fin, par conséquent précédée d’une première vieillesse, avait clos une première vie. Donc il n’était plus jeune. Et ce n’est pas en vain qu’il avait quitté la communion des fidèles pour l’agrégation de philosophie.