Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/31

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avec mon prochain roman. Si l’affaire ne réussit pas, il est possible que je me pende[1]. » Un quart de siècle ensuite, ayant femme et enfant, il crie : « Il m’a fallu engager mes pantalons pour me procurer deux thalers. Elle, ma femme, qui nourrit son enfant, elle va engager elle-même sa dernière jupe d’hiver, en laine ! Et pourtant, voilà deux jours qu’il neige ici[2]. »

La dette a été son Tartare : il n’en est jamais sorti. Après Crime et Châtiment, déjà célèbre, il a dû fuir la Russie pour se soustraire à la prison. Il a erré six ans à l’étranger, sous le fouet de la dette. Exil, pour un homme comme Dostoïevski, peut-être plus dur que son temps de bagne en Sibérie.

Ce sont les dettes qui lui arrachent les aveux pitoyables dont ses lettres sont pleines. Elles le pressent ; elles l’épouvantent ; il ne fait pas un mouvement qu’il n’en sente la gêne aux entournures, pas un geste qui ne les envenime. La dette est toujours là, pour l’empêcher de satisfaire aux plus humbles besoins qui le tiraillent. Dans sa correspondance, il n’est question que de roubles, de prêts, d’avances, de gages. « Je rendrai tant ; j’aurai tant ; il me faut tant. » Voilà le nœud de ses convulsions. « Je vous supplie ! Pour l’amour du ciel ! Au nom du Christ ! Pour l’amour de Dieu ! » Il y a des lettres où ce cri du mendiant revient jusqu’à neuf fois[3]. À tout instant, il se prosterne, atterré par la peine : « Je suis au désespoir. Je suis perdu. » On tremble de sa propre impatience ; on a les nerfs tendus

  1. Lettre du 24 mars 1845, Correspondance de Dostoïevski, traduite par Bienstock.
  2. Lettre du 16/28 octobre 1869.
  3. Lettres de juillet 1856.