Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/34

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pose à notre âme, celui qu’on nous fait et celui que nous sommes tentés de faire. Pour lui et pour toute sa race, il embrasse le parti de l’amour souffrant, lequel, selon moi, est le seul amour, étant le seul qui accepte l’épreuve du sacrifice. Et, dans l’horreur de tout ce qui l’entoure, pour lui-même et pour son peuple, Dostoïevski souscrit à la beauté de vivre.

D’ensemble, c’est une vie hideuse que celle-ci. À peine si l’on peut en supporter l’idée ; mais que l’on considère la vie apparente de Dostoïevski comme le moyen de sa vie intérieure : toutes les duretés de la fortune, les injures du malheur, autant de coutres et de socs qui servent, tranchants, au labour de la beauté cachée, et que seul le déchirement du sein devait rendre visible.

Voilà comme en Dostoïevski s’opère la révélation de tout un monde. Tel il est, telle la Russie. De toute nécessité, il lui fallait être condamné à mort et qu’il allât au bagne avec elle. Dostoïevski a créé pour nous la Russie mystique, la Russie cruelle et chrétienne, le peuple de la mission, entre l’Europe et l’Asie, qui porte à l’ennui du crépuscule occidental le feu et l’âme divine de l’Orient. Quel roi, quel politique ou quel conquérant a plus grandement agi pour sa race ? C’est dans Dostoïevski, enfin, que la Russie, cessant d’être cosaque, se manifeste une réserve pour l’avenir, une ressource pour le genre humain.