Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’argent à ses amis, il implore qu’on lui envoie des livres.

Il est très nourri d’œuvres françaises. Elles lui ont tenu lieu de l’antique. Le français est son grec et son latin. Il avale tout, d’un égal appétit, Voltaire et Balzac, Eugène Sue et Racine. Jeune homme, sa lecture est immense. Quant aux Russes, il n’en ignore rien. Toute sa vie, il est curieux de ses émules ; il est avide de tout ce qu’ils publient : il réclame sans cesse les romans de Tourguénev, de Gontcharov et de Tolstoï ; il suit les auteurs de tout ordre, et même les critiques. Seuls, à ses yeux, Pouchkine et Gogol ont du génie ; à Tolstoï, il le refuse. D’ailleurs, l’exemple de Gogol, mort fou, le hante.

On fait souvent de Dostoïevski une espèce de barbare inculte, qui ne doit rien qu’à lui-même. Rien n’est si faux. Idée bonne aux maîtres d’école et aux sergents de lettres : ils y flattent leur propre barbarie, pour la tirer du rang. Et, pour qu’on soit sensible à leur originalité, ils trouvent du barbare en toute âme originale. Le barbare ne sait même pas parler : il bégaye. Dostoïevski est un homme de longue culture, tant par la race que par l’éducation. Il n’a jamais été en friche. Ce fils de la petite noblesse a reçu la nourriture noble. Il ne s’est pas mis, sur le tard, à apprendre. Loin de là, on l’a instruit dès le berceau. Pauvre ou non, c’est ce qui distingue la petite noblesse des bourgeois et des marchands russes. Le père Dostoïevski n’est pas seulement un homme austère, uniquement occupé d’idées religieuses : il lit, lui aussi ; il a servi dans les camps ; il a fait la guerre contre Napoléon. Il voit au delà de son quartier, de la ville, et même de la Russie.