Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/47

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tué[1]. » — Ou ces traits dignes de l’oraison : « Le Christ est avec les bêtes avant d’être avec nous[2]. » — « Si le juge était juste, peut-être le criminel ne serait pas coupable[3]. »

§

Dostoïevski a la conscience de Pétersbourg.

Il est l’âme de ces hivers polaires, où le jour est une agonie de la nuit ; et de ces étés, où la nuit est encore le jour, un crépuscule songeur, pensif et adorable comme le regard d’une amante insensée.

J’ai vécu avec lui dans la ville ardente et morne, où les ivrognes et les mystiques se donnent le bras, où de funèbres hypocrites baisent aux lèvres des rebelles candides ; où la pire corruption, qui est triste, engraisse de son fumier l’innocence subtile ; où la luxure est un raisin à pépins de remords, et où les vierges ont une odeur qui tente le péché.

§

Un monde à part.

Dans l’œuvre de Dostoïevski, il y a une société complète, à savoir une société religieuse. Car tous les porte-totems de la terre n’y feront rien, et leur étymologie moins encore : pour l’homme, la religion, quelle qu’elle soit, c’est le lien. Dostoïevski ne rompt pas le faisceau. Il serre le nœud de la cité : tout y entre, du plus humble artisan au maître d’hommes altier. Chez lui, non pas des rangs et des titres, la hiérarchie est de la vertu vivante et des caractères. Il a ses voleurs et ses boucs, ses

  1. Crime et Châtiment, IV, 4 ; V, 4.
  2. Frères Karamazov, XI, 6.
  3. Frères Karamazov, XI, 6.