Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/68

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et l’amant, la victime et le bourreau, que l’on voit veiller la même femme, qui fut double et qui est morte, victime elle aussi et bourelle ? À la fin, la joie qu’on exige et le salut qu’on dispense se confondent dans l’insondable peine.

§

Quelle est donc cette recherche de la douleur, dans le sentiment qui promet le plus de félicité à l’homme, selon la nature ? N’en est-ce pas, plutôt, la fatalité dans la conscience ? Plus on y pense, plus il semble que l’homme et la femme ne sont pas faits pour la vie commune. La passion, plus ou moins longue, n’est point un état de durée. La passion, comme le drame, vit de combat et se dénoue par la mort.

Pourtant, l’homme et la femme, plus ils s’aiment, plus il leur est fatal de vivre ensemble et confondus. Au génie de l’espèce, qui ne s’inquiète que du moment, se substitue le génie de la tendresse, qui prétend accorder les éléments contraires, et faire un état durable d’un état passager. Une telle violence à la nature ne va pas sans douleur. Et je dis qu’elle est nécessaire. L’amour humain se distingue, par là, de l’amour naturel aux autres créatures, et même à la plupart des hommes, si l’on en juge à tant de misérables couples.

Pour qu’un homme et une femme se puissent souffrir, il faut qu’ils souffrent l’un de l’autre. C’est la loi. Je parle de l’homme accompli en conscience.

L’accord ne vient que du sacrifice. Celui qui aime le plus, souffre le plus. À l’ordinaire, la femme reçoit la part douloureuse ; et souvent, elle choisit d’en jouer le rôle. Mais le meilleur homme ne le lui laisse pas.