Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/86

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L’erreur d’une grande âme n’est jamais que dans l’action : la volonté ni le cœur n’errent point, étant toujours fidèles à la grandeur qui les anime. On ne se trompe que sur la route à suivre. Quand on revient sur ses pas, on possède tout l’horizon et toutes les perspectives, qu’on n’eût peut-être jamais bien vus sans cette erreur-là. Elle est la racine commune de la peine et de la puissance.

L’œuvre qui fit la fortune de Dostoïevski jeune homme[1], et celles qui vinrent ensuite jusqu’à la catastrophe du bagne, me semblent d’une invention médiocre et d’un très faible prix. Elles sentent la crasse sentimentale des galetas. Elles sont geignardes et larmoyantes. Le peu de gaîté qu’elles ont grimace. Elles annonçaient le Gogol des mansardes, s’il peut y avoir un Gogol moins la force et le style. Le trait est forcé, le dessin sans beauté, les ombres épaisses. Elles ressemblent aux tableaux d’un peintre oublié, Tassaert, qui pleurnichait lourdement dans les taudis, de grabat en grabat. Subtiles enfin, mais sans profondeur. Or, la profondeur du sentiment corrige seule la subtilité qu’elle implique ; seule, la profondeur de l’analyse suppose l’extrême complexité et la justifie. Ce double don, qui devait porter Dostoïevski à une hauteur où personne ne le dépasse, ne se fait sentir dans les premières œuvres que par l’embarras de l’action et la contorsion des caractères.

Au début comme à la fin, Dostoïevski ne peint que

  1. Les Pauvres Gens, 1846 ; Le Double, Les Nuits blanches, etc., 1847 à 1849.