Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/87

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des jeunes gens, et quelquefois des vieillards. Là encore, c’est la Russie même, qui n’est pas mûre, toujours trop verte ou trop avancée ; elle a ses adolescents pourris et de vieilles gens à l’âme plus fraîche que l’enfance. Souvent là-bas, les jeunes femmes portent un cœur de cadavre, plein de vermine et de cendres, sous une chair en fleur. La Russie vit dans l’excès : en tout, jusqu’ici, elle ignore l’entre deux.

Dostoïevski lui-même et ses livres sont au centre de ce monde inconnu. Lui et ses livres sont les grandes œuvres de l’âge mûr. C’est l’homme dans toute sa force, qui possède la jeunesse : les jeunes gens ne connaissent pas les jeunes gens. Dostoïevski est cet homme, celui qui ne fait tort ni de la réalité au rêve, ni du rêve à la réalité, qui peut seul comprendre toute la profondeur de la vie.

Peu importent ses erreurs de fait, les premières et les dernières, celles qui l’ont mené au bagne, et celles qui le feraient prendre pour un conseil des Cent Hommes Noirs. Peu importe que la Troisième Section soit la face cachée et le bras visible de l’Évangile dans l’horrible empire. Peu importe Son Excellence Pot-de-vin, les princes qui volent les fonds de la Croix-Rouge aux malades et aux blessés, ou le règne des Allemands, forcenés policiers, qui gouvernent au nom du Christ et de la race slave. Toutes les erreurs de fait n’empêchent pas de croire à la Russie que Dostoïevski nous incarne. Elle n’est pas seulement en lui ; mais il nous la révèle, il achève tout ce qu’on en voit dans Pouchkine et dans Gogol, dans Tourguénev et Tolstoï.

Il faut qu’il y ait un peuple russe dans les langes. Il