Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Surtout, il lui fallait le bagne et l’enfer des crimes[1], pour se purger à fond d’un amour-propre qui fut toujours féroce, et d’une naturelle jalousie. Mais bien plus encore, cette damnation devait lui révéler les grands fonds de l’âme humaine, où nul n’est descendu plus avant, Shakspeare et Wagner exceptés. Là, il connut que le crime a ses vertus, et qu’il peut être plein de la vertu même ; que la qualité d’homme ne se prescrit jamais ; que le cœur présente tout grief et toute excuse ; que la sécheresse de l’âme est le seul péché, si même il en est un ; que la faute est partout, qu’elle a toujours une dispense, qu’elle obtient remise, pourvu qu’elle consente un peu à l’expiation ; et la souffrance vaut le consentement, quand la rebelle le refuse ; que l’amour est le salut de tous et de chacun ; que la rédemption est le prix du sang : que le châtiment, horrible en ceux qui osent châtier, est nécessaire à tout coupable, pour rassurer en lui l’orgueil de son destin et la dignité de l’homme : Car toute vie, avant d’être à son terme de beauté, toute vie est une expiation que l’amour nous propose, et qui doit être expiée.

Voilà où Dostoïevski a saisi l’âme de son peuple, et de tous les peuples, et de ceux même qui l’ont tuée. Il a pesé que les premiers selon le rang sont souvent les derniers selon la vie ; et les derniers selon le monde, les premiers suivant l’âme cachée du monde. Là, il apprit à se mettre au-dessus de toute apparence. Là, il s’est fait à vivre en profondeur : car toute l’œuvre de Dostoïevski est une vie dans la profondeur et dans la

  1. Et moi aussi, j’ai mon enfer, le bagne des auteurs, des critiques et des faux artistes, où je purge, dans un coin d’ombre, la colère de ma solitude et le vieil amour de la gloire.