Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/91

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âmes pures. La pureté suprême est l’innocence de la bonté : l’horreur de faire le mal. Dostoïevski n’hésite pas à produire des prostituées plus chastes et des assassins plus purs, à l’en croire, que les honnêtes gens : c’est qu’ils aiment ; et que le crime, en eux, n’est pas le mal qui dure, mais l’erreur, la folie et la misère du moment. Jamais il ne dit avec emphase que la prostituée ou le criminel valent mieux que l’honnête femme et le juge. Mais la prostituée qu’il défend est une victime : il montre en elle, non pas l’excellence de son infamie, mais l’excellence de la douleur que l’infamie lui coûte. Et enfin, toute créature qui se donne avec passion est victime, quel que soit son bourreau, son complice ou son idole.

Nulle trace, en cet homme admirable, de morgue vertueuse. Nul ne s’est moins juché sur les échasses du devoir et de la morale. À la profondeur où il sait chercher les origines, il trouve, en soi, la semence et l’excuse de tous les péchés. Et le crime des crimes, qui est la cruauté, il en débrouille aussi les racines, avec un saint effroi : il touche, il voit que la cruauté et la luxure se tiennent comme deux sœurs monstrueuses, unies par le même os de désir. Plus il les déteste, plus il en épouse la connaissance. Dostoïevski n’a pas proprement pitié du mal : à moins que le châtiment ne soit plus pitoyable à la faute, que la rémission. Mais sa compassion est merveilleuse pour la peine, ou publique ou cachée, que le péché exige. Pitié qui n’est point vague ni fumeuse ; elle ne comporte aucune faiblesse, elle ne tient pas au larmoiement : elle est la vertu humaine par éminence, la vertu des vertus, la charité sans quoi tout reste mort et vide.