Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/92

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L’amour véritable est là, où celui qui aime s’oublie soi-même et se confond entièrement dans l’objet aimé. Larmes de la compassion, vous faites une honte éternelle aux baisers sans pitié.

Le plus haut point de la vertu est toujours de se vaincre, et d’embrasser parfaitement l’objet : lui être le cœur et l’âme qu’il a si peu, ou qu’il n’a point.

Cette conquête est d’une autre grandeur et d’une autre fécondité, que la domination telle quelle. S’emparer d’autrui et du monde, misère près de la puissance qu’il faut pour leur donner la vie et les sauver.

Voilà le magnifique courage de la vision, que seuls les Russes ont eu avec nos Français. Ils ne font pas un pauvre choix dans les passions humaines : ils les considèrent toutes. Ils ne feignent point de croire que les amants n’ont point de lèvres. La profondeur du sentiment russe, et la puissance de l’esprit français : les deux ailes à l’essor de la nouvelle connaissance.

Il n’est pas de profondeur sans un rêve fervent de l’éternel. La profondeur est sous-jacente au sentiment, et non à l’intelligence. La profondeur est le privilège de l’âme religieuse, et de cette âme seulement. Il n’y a pas de vérité religieuse. Mais le sentiment religieux a sa connaissance. Quelle intelligence forte ne cherche pas une relation de soi à l’univers ? Mais ce n’est rien d’en avoir l’idée : elle n’est qu’un chiffre. Il faut en avoir le sentiment. Et telle est l’âme religieuse. Après bien des routes et des chutes cruelles, l’âme religieuse se fixe dans l’amour : là est son lieu, et sa conquête ; là, sa force et la vocation de sa puissance ; là serait son repos, s’il en existait un. Dostoïevski n’a pas man-