Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/94

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puissances mortelles, j’y vois un triomphe de l’affirmation. Dostoïevski connaît son peuple par soi-même. Toute révolte de la race déchaîne son instinct d’aveugle destruction et d’anéantissement. Le joug, qui lui fléchit la tête jusqu’à terre, la garde étroitement de l’anarchie. La tête russe nie. Sa liberté tourne aussitôt en négation affreuse. La race des Russes obéit et souffre avec excellence. Elle se rebelle et se fait justice avec infamie. Cette race ne peut aller à la perfection que par les voies de la douleur. En un mot, elle ne veut choisir qu’entre la foi mystique et le néant, entre l’amour de Dieu et la haine de la vie.

§

Dostoïevski, maître en toutes passions, et tenant toutes les clés de l’abîme, ferme les portes du néant. Tenté de toutes négations, il ne détruit rien et il affirme. En Dostoïevski, j’admire un Nietzsche racheté.

Je ne crois pas aux Prométhées qui perdent la tête sur le rocher. Mon Prométhée fait peur à Jupiter même, qui s’imagine de l’avoir bien cloué. Je ne ferai pas crédit à des dieux, qui finissent à quatre pattes, dans un asile. Et si la foudre me frappe, dussé-je tenir bon contre elle, le ciel me soit témoin que je ne me serai pas vanté.

Tout ce qui est mort et négation dans les philosophes, Dostoïevski l’a surpassé ; mais telle est sa grandeur, qu’il monte d’un degré encore. Il porte à la rédemption l’accablement de nos fatalités. Si je l’ai peint comme il est, je ne sais ; mais jamais, il me semble, on ne mesura mieux la distance qui sépare la