Page:Cahiers de la quinzaine, série 6, cahiers 1-3.djvu/743

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chevreau, que mon père avait acheté pour deux zuzini. Chad Gadya ! Chad Gadya !

À Vienne, où il avait passé, un Israélite rêvait le vieux rêve d’un État juif, — un État moderne, incarnation de tous les grands principes acquis par le travail des siècles. Ce caméléon des races aurait une couleur spécifique : un art juif, une architecture juive naîtraient : qui sait ? — Mais lui, qui avait travaillé avec Mazzini, qui avait vu son héros arriver à la plus grande des défaites, — la victoire, lui savait. Il savait ce qui résulterait, en cas de succès. Il comprenait le sort du Christ, de tous les idéalistes condamnés à se voir, eux, adorés, et leurs idées reléguées dans une religion ou dans un État, comme un monument national pour perpétuer leur défaite. Mais l’État juif ne serait même pas formé. Hier il avait vu ses coreligionnaires viennois, — dans la Léopoldstrasse, avec les longs vêtements graisseux, et les boucles sur l’oreille de la Galicie ; — au Prater, s’étalant avec arrogance, dans de brillants équipages, aux laquais d’une correction parfaite, — race étrange, qui savait bâtir des villes pour les