Page:Cahiers de la quinzaine, série 9, cahier 1, 1907.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dansantes sous le pied et perçantes ; ils gardaient leurs sabots, doit-on le dire, l’histoire est implacable, et ce que je vais vous dire, mais n’en parlez pas trop, je le sais, moi aussi j’ai mes fiches ; ils gardaient leurs sabots, les faquins, les pendards, ils gardaient leurs sabots pour faire dans les villes des entrées triomphales.

Non pas seulement même l’armée de la Moselle en sabots ; mais l’armée de la Moselle tout nu-pieds ; ne les plaignons pas ; envions-les plutôt. On est très bien à marcher en sabots, et même nu-pieds, quand on est eux. La tristesse et la peur leur étaient inconnues. Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues… Mais je ne peux pas vous réciter toute cette Obéissance passive.

Ils étaient heureux. C’est nous qui les faisons malheureux, qui les plaignons. Sots que nous sommes. C’est nous. Ou plutôt, parmi nous, c’est le pâle historien, l’intellectuel historien, le cérébral historicus qui artificiellement les fait malheureux. Demandez aux grands bougres, aux véritables historiens, à Michelet, à Hugo, à ceux qui les ont vus, réellement, vus, s’ils étaient malheureux.

Ils étaient heureux, les bougres. Ils faisaient quelque chose. Et ils savaient très bien qu’ils faisaient quelque chose. Envions-les. Hugo : ces va-nu-pieds superbes ; il est littéralement vrai qu’on les voyait marcher sur le monde ébloui. Leurs sabots, leur pied nu a obtenu de ce monde un retentissement qui n’a été donné à nul homme depuis. Leur pied nu a obtenu de l’instrument monde une résonance, des cordes, des routes de ce monde une résonance, un retentissement que nul n’en a tiré depuis.