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prétentions des Français qui le formaient. Elle rendait justice au comte d’Artois, et disait souvent que son parti agirait dans un sens opposé à ses propres sentimens pour le roi son frère et pour elle ; mais qu’il serait entraîné par des gens sur lesquels Calonne avait le plus funeste ascendant. Elle reprochait au comte d’Esterhazy, qu’elle avait fait combler de grâces, de s’être rangé dans le parti de Calonne, au point qu’elle pouvait même le regarder comme un ennemi.

Cependant les émigrés faisaient entrevoir une grande crainte sur tout ce qui pouvait se faire dans l’intérieur, par le rapprochement avec les constitutionnels qu’ils peignaient comme n’existant plus qu’en idée, et comme nuls dans les moyens de réparer leurs fautes. Les jacobins leur étaient préférés, parce que, disait-on, il n’y aurait à traiter avec personne, au moment où l’on retirerait le roi et sa famille de l’abîme où ils étaient plongés.

Je lisais souvent à la reine les lettres que Barnave lui adressait. Une, entre autres, m’a beaucoup frappée, et je crois en avoir retenu l’esprit assez ponctuellement pour le rendre avec fidélité. Il disait à la reine qu’elle était trop en défiance sur les forces qui restaient au parti constitutionnel ; qu’à la vérité leur drapeau était déchiré, mais qu’on y lisait encore le mot constitution ; que ce mot retrouverait sa force, si le roi et ses amis s’y ralliaient de bonne foi ; que les auteurs de cette constitution, éclairés sur leurs propres erreurs,