Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/221

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une crise semblable[1]. « Je commence à redouter un procès pour le roi, ajouta la reine ; quant à moi,

  1. Un passage de Bertrand de Molleville montre de quels tristes pressentimens le malheureux prince était agité, et prouve avec quelle résignation courageuse il prévoyait son sort et se préparait à le subir. Sa famille l’occupait seule : il ne craignait que pour elle. Les sentimens touchans d’ami, d’époux, de père, affaiblissaient et suspendaient continuellement en lui les résolutions du monarque.

    « Sa lecture ordinaire était l’Histoire de Charles Ier, et sa principale attention était d’éviter, dans tous les actes de sa conduite, tout ce qui lui paraissait pouvoir servir de prétexte à une accusation judiciaire. Il aurait fait aisément le sacrifice de sa vie, mais non celui de la gloire de la France, qu’un assassinat, qui n’eût été que le crime de quelques individus, n’aurait pas entachée.

    » Ce ne fut que dans la conversation secrète que j’eus avec le roi, le 21 juin à neuf heures du soir, que je fus à portée de juger à quel point il était dominé par ces pressentimens funestes. À toutes mes félicitations sur le bonheur qu’il avait eu d’échapper aux dangers de la journée précédente, Sa Majesté me répondit sur le ton le plus indifférent : « Toutes mes inquiétudes ont été pour la reine et pour ma sœur ; car, pour moi !… — Mais il me semble, lui dis-je, que c’était principalement contre Votre Majesté que cette insurrection était dirigée. — Je le sais bien ; j’ai bien vu qu’ils voulaient m’assassiner, et je ne sais pas comment ils ne l’ont pas fait. Mais je ne leur échapperai pas un autre jour ; ainsi je n’en suis pas plus avancé : il est assez égal d’être assassiné deux mois plus tôt ou plus tard. — Mon Dieu ! Sire, m’écriai-je, Votre Majesté peut-elle donc croire si fermement qu’elle doit être assassinée ? — Oui, j’en suis sûr, je m’y attends depuis long-temps, et j’ai pris mon parti. Est-ce que vous croyez que je crains