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l’escalier, suivie de nos femmes. Les assassins quittent l’heiduque pour venir à moi. Ces femmes se jettent à leurs pieds et saisissent les sabres. Le peu de largeur de l’escalier gênait les assassins ; mais j’avais déjà senti une main terrible s’enfoncer dans mon dos, pour me saisir par mes vêtemens, lorsqu’on cria du bas de l’escalier : Que faites-vous là-haut ? L’horrible Marseillais qui allait me massacrer, répondit un heim, dont le son ne sortira jamais de ma mémoire. L’autre voix répondit ces seuls mots : On ne tue pas les femmes.

J’étais à genoux, mon bourreau me lâcha et me dit : Lève-toi, coquine, la nation te fait grâce. La grossièreté de ces paroles ne m’empêcha pas d’éprouver soudain un sentiment inexprimable qui tenait presque autant à l’amour de la vie, qu’à l’idée que j’allais revoir mon fils et tout ce qui m’était cher. Un instant auparavant, j’avais moins pensé à la mort que pressenti la douleur que m’allait causer le fer suspendu sur ma tête. On voit rarement la mort de si près sans la subir. Je peux dire qu’alors les organes, lorsqu’on ne s’évanouit pas, sont dans tout leur développement, et que j’entendais les moindres paroles des assassins, comme si j’eusse été de sang-froid.

Cinq ou six hommes s’emparèrent de moi et de mes femmes, et, nous ayant fait monter sur des banquettes placées devant les fenêtres, nous ordonnèrent de crier : Vive la nation !

Je passai par-dessus plusieurs cadavres ; je recon-