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plusieurs Suisses qui se sauvaient ; les coups de fusil se croisaient de tous côtés. Nous passâmes sous les murs de la galerie du Louvre ; on tirait du parapet dans les fenêtres de la galerie, pour atteindre les chevaliers du poignard ; c’était ainsi que le peuple désignait les sujets fidèles qui s’étaient réunis aux Tuileries pour défendre le roi.

Les brigands avaient cassé des fontaines qui étaient dans la première antichambre de la reine ; l’eau mêlée au sang avait teint le bas de nos robes blanches. Les poissardes criaient après nous, dans les rues, que nous étions attachées à l’Autrichienne. Nos gardiens alors nous montrèrent des égards et nous firent entrer sous une porte cochère pour ôter nos robes ; mais nos simples jupons de dessous étant trop courts et nous donnant l’air de personnes déguisées, d’autres poissardes se mirent à crier que nous étions de jeunes Suisses habillés en femmes. Nous vîmes alors venir dans la rue un groupe de cannibales portant la tête du pauvre Mandat. Nos gardes nous firent entrer précipitamment dans un petit cabaret, demandèrent du vin et nous dirent de boire avec eux. Ils assurèrent la cabaretière que nous étions leurs sœurs et de bonnes patriotes. Les Marseillais nous avaient heureusement quittées pour retourner aux Tuileries. Un des hommes qui étaient restés avec nous, me dit à voix basse : « Je suis ouvrier en gaze dans le faubourg ; j’ai été forcé de marcher ; je ne suis pas pour tout cela. Je n’ai tué personne et je vous ai sauvées ; vous avez couru