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avait fait dépenser au roi plus de deux millions cinq cent mille livres pour le seul article des tribunes, et qu’elles avaient toujours été pour les jacobins ; qu’à la vérité, les personnes qui avaient été chargées de cette opération, et auxquelles ces fonds avaient été remis, étaient violemment suspectées d’en avoir détourné une grande partie, et peut-être la totalité à leur profit ; mais que cet inconvénient était inséparable de ce genre de dépense, qui, par sa nature, n’était susceptible ni de contrôle ni de vérification quelconque, et que cette considération avait déterminé le roi à y renoncer.

» Je n’affirmerai pas comme un fait constant, que les deux entrepreneurs en chef de cette opération (MM. T… et S…) aient réellement détourné à leur profit les fonds qui leur ont été confiés, quoiqu’il ait été de notoriété publique que, depuis qu’ils en ont été chargés, l’un d’eux a fait pour douze à quinze cent mille livres d’acquisitions, et l’autre pour sept à huit cent mille livres ; mais je n’hésite pas à croire et à assurer qu’ils ne peuvent se justifier du reproche d’insigne friponnerie, qu’en prouvant qu’ils ont conduit cette opération avec une maladresse et une négligence presque aussi coupables ; car rien n’était plus aisé que de s’assurer des tribunes en les payant. J’en avais fait l’épreuve une seule fois pendant mon ministère, mais avec un succès complet ; c’était le jour où je devais prononcer à l’Assemblée ma réponse définitive aux dénonciations qui avaient été faites contre moi. Je fus instruit, deux jours auparavant par mes espions, que le comité secret des jacobins avait arrêté de renforcer ce jour-là le nombre de ses affidés dans les tribunes pour s’assurer de me faire huer ; je fis appeler sur-le-champ un des vainqueurs de la Bastille, à qui j’avais rendu de grands services avant la révolution, qui m’était entièrement dévoué, et qui avait une grande influence dans le faubourg Saint-Antoine. Je le chargeai de choisir parmi les ouvriers de ce faubourg deux cents hommes sûrs et vigoureux, de les conduire, le surlendemain à six heures du matin, à l’Assemblée, afin qu’ils y fussent les premiers avant l’ouverture de la salle, et