Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du soir lorsque cette auguste famille, prisonnière de son propre peuple, arriva à l’Hôtel-de-Ville. Bailly les y reçut ; on les fit monter sur un trône, lorsqu’on venait de briser celui de leurs aïeux. Le roi parla avec assurance et bonté ; il dit qu’il venait toujours avec plaisir et confiance au milieu des habitans de sa bonne ville de Paris. M. Bailly répéta cette phrase aux représentans de la commune, qui venaient haranguer le roi ; mais il oublia les mots avec confiance. La reine les lui rappela sur-le-champ

    tie du cortége faisait, à quelque distance, l’effet le plus singulier : on eût cru voir une forêt ambulante au travers de laquelle brillaient des fers de piques et des canons de fusil. Dans les transports de leur brutale joie, les femmes arrêtaient les passans, et hurlaient à leurs oreilles, en montrant le carrosse du roi : « Courage, mes amis, nous ne manquerons plus de pain ; nous vous amenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. » Derrière la voiture de Sa Majesté étaient quelques-uns de ses gardes fidèles, partie à pied, partie à cheval, la plupart sans chapeau, tous désarmés, épuisés de faim et de fatigues ; les dragons, le régiment de Flandre, les cent-suisses et les gardes nationales précédaient, accompagnaient et suivaient la file des voitures.

    » J’ai été témoin de ce spectacle déchirant ; j’ai vu ce sinistre cortége. Au milieu de ce tumulte, de ces clameurs, de ces chansons interrompues par de fréquentes décharges de mousqueterie que la main d’un monstre ou d’un maladroit pouvait rendre si funestes, je vis la reine conservant la tranquillité d’ame la plus courageuse, un air de noblesse et de dignité inexprimable, et mes yeux se remplirent de larmes d’admiration et de douleur. »
    (Note de l’édit.)