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SOUVENIRS DE MA JEUNESSE.

de M. Pierre Leroux et ne tarda pas à endosser la livrée de Saint-Simon, avortement humiliant mais inévitable après une aussi vaine gestation.

Le Correspondant avait pris pour épigraphe le mot célèbre de Georges Canning : Liberté civile et religieuse par tout l’univers. Enlacée dans un écusson, cette devise figurait en tête du journal. Ses rédacteurs en étaient les défenseurs strictement convaincus, sans prétendre donner à leur pensée la valeur d’une formule ou d’une théorie générale : simples publicistes, appréciant la portée des faits purement contemporains, ils n’affichaient ni prétentions philosophiques, ni prétentions littéraires. Celles-ci auraient d’ailleurs été très-déplacées, et la critique qui s’exerçait entre nous avec une liberté sans limite leur eût interdit de se produire.

L’union des idées avait préparé celle des cœurs. Nous venions tous d’atteindre l’âge où se fondent les attachements durables. L’amitié n’est point une Heur de la première saison : pour qu’elle répande et conserve tout son parfum, il faut que l’homme ait déjà choisi sa voie et qu’il s’y soit virilement engagé. Les amitiés d’enfance sont trop précoces pour être solides ; au collège on est juxtaposé plutôt que réuni. Les enfants y surviennent des milieux les plus divers, et l’on ne saurait prévoir, en contemplant cette bruyante volière, vers quel point de l’horizon s’envoleront bientôt ces nuées de captifs. Lorsque d’anciens condisciples se rencontrent dans le monde, ils n’ont trop souvent à mettre en commun que les souvenirs de leur