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Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/166

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152 LES PLEURS Paris, le 11 novembre 1832. Tu sais bien aussi qu’il n’y a rien de calme dans mon affection pour toi. J’ai souvent renfermé des orages qui auraient trouble ta vie, déjà fort agitée par ton caractère qui ne te pardonne rien. A ce titre seulement, je mérite de toi une amitié, un sentiment indestructible, et tu me le garderas. Sois toujours sûr d’une vérité : c’est que tu peux en toute confiance me céder, quand je te demande quoi que ce soit avec insi- stance et chaleur ; car, je te le proteste, ta dignité d’homme m’est aussi sacrée qu’à toi. C’est pour qu’elle ne fût jamais compromise que j’ai toujours évité d’exalter ton cœur déjà si sévère contre tes étourderies. Le mien pleurait souvent, mais tu n’en savais rien ; car tu aurais été trop irrité contre toi- même et les autres à qui je pardonne devant Dieu tout ce qui peut t’attrister dans le passé… Nous pouvons être infini- ment heureux l’un à l’autre, en ce qui concerne au moins la douceur d’un ménage bien uni, et c’est le premier bien de ce monde. „ Grenoble, 18 novembre 1832. Ta lettre que j’ai reçue hier au moment de quitter Lyon, m’a fait beaucoup pleurer. Elle m’a reportée à des temps de torture et de malheur qu’il ne faut pas réveiller, puisque j’ai pu y survivre. — Quoi ! j’impose moi ! Moi si écrasée alors dans le sentiment du dédain que je croyais t’inspirer, c’est de moi que tu parles ! Tiens, je te le dis, on vit en aveugle dans ce monde, et, à côté l’un de l’autre, on ne s’en- tend pas. La pensée est donc bien voilée chez moi, mon ami ! Moi si vraie, j’ose dire si naïve pour tous les autres, c’est toi qui me redoutais ! Quand j’avais le cœur martyrisé de ta froideur et de ta lassitude de me voir… Ah Prosper ! qu’il y a de tristesses dans la découverte des causes qui nous ont fait verser tant de larmes ! N’en doute pas, mon ami, c’est à ces premières sources que tu as puisé, à ton insu, mille va- gues préjugés contre moi. Tu m’as vue souvent à travers les jugements bien troublés de ta maman.