Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/233

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PAUVRES FLEURS

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219 Arthur Pougin a retrouvé dans les papiers de Mme Des- bordes-Valmore une longue note sur Henry, le " petit amou- de Marceline. Ce fragment délicieux, Arthur Pougin voudrait qu’on l’appelât " le poème des cheveux blonds, ,: 11 Il me rappelle Henry, mon premier petit ami. J’étais sur la porte de ma mère, quand il ne faisait plus ni jour ni nuit. Je l’entrevoyais dans ce voile doux qui couvre les rues à l’heure du soir. Ses pas se pressaient; sa tête blonde et bouclée se dirigeait comme une tête d’ange vers notre maison. Il sortait du cimitière qui bordait notre vieux rempart, il ve- nait. Nous nous regardions sérieusement, nous parlions bas et peu : "Bonsoir, , , disait-il, et je recevais de ses mains qu’il avançait vers moi de larges feuilles vertes et fraîches, qu’il avait été prendre sur les arbres du rempart pour me les appor- ter. Je les prenais avec joie, je les regardais longtemps, et je ne sais quel embarras attirait enfin mes yeux à terre. Je les tenais alors fixés sur ses pieds nus et l’idée que l’écorce des arbres les avait blessés me rendait triste. Il le devinait, car il disait : "Ce n’est rien !, , Nous nous regardions encore et, par un mouvement soudain du cœur, en forçant ma voix faible de prononcer sans trembler : "Adieu, Henry !, Il avait dix ans, et j’en avais sept. "Mon Dieu, quel charme demeure attaché à ces amitiés innocentes. Il est imprégné de la même fraîcheur que je sen- tais à ces feuilles que m’apportait Henry quand elles touchaient mes mains… "Qu’est devenu Henry ? A quels yeux a-t-il demandé ce qu’il avait entrevu dans mes regards étonnés et confiants ? Je ne me souviens pas s’il était beau. Sa bouche et une partie de ses traits ne se représentent plus à ma mémoire ; ses yeux seuls me parlent encore. C’est que son âme s’y peignait sans le savoir. Ses paroles brèves, qu’il jetait à voix basse, ont laissé leur bruit dans mon oreille et c’est à présent que je reconnais que j’en étais émue. Alors je ne me rendais pas compte. Seule- ment j’attendais Henry sans bouger de place, sans détourner ma tête du chemin où j’étais sûre de le voir paraître… et il